9


En 2015 j'ai rencontré pour la première fois des enfants marocains non accompagnés à Mlilya. Dans la rue, on m'a demandé de la nourriture, de la monnaie, des cigarettes... On se débrouillait avec des gestes, quelques mots d'espagnol, rarement du français. Très vite, les jeunes ont commencé à m'apprendre quelque mots d'arabe marocain que je retenais difficilement... Au fur à mesure des rencontres, j'apprenais des tabassages dans le foyer, de la violence infligée quotidiennement par la police, des agressions de la part des habitants de l'enclave, et que la colle ça aide à oublier et les bateaux ça sert à quitter ce lieu maudit. 
J'ai commencé à aller les voir tous les jours. Je les ai vu partir vers le port, escalader des barrières de plusieurs mètres, courir derrière un camion en marche et arriver à s'enfiler au dessous sans se blesser. Je les ai vu nager à trois en plein jour vers un ferry, un quatrième, Othman, à coté de moi les encourageant en criant... J'étais préoccupée que les braillements de Othman allaient attirer l'attention de la police, mais l'insouciance heureuse du jeune était contagieuse et sereine: si il n'y arrivent pas cette fois ci, ça sera un autre jour. 
Sur la fin de mon séjour, un jeune est venu vers moi, il était dans un état de choc. Il m'a fait comprendre que quelque chose d'horrible s'était passé. Un gamin était mort. Comme à tout moment tous le font de peur des maltraitances, il fuyait, étant poursuit par la Guardia Civil. Il s'est élancé vers la falaise. Un mouvement connu, rapide, sauter pour attraper une corde qui aide à descendre. Mais il avait plu, les rochers glissaient. Il a dégringolé. La Guardia civil est partie, on l'a cherché que le lendemain. On a vu les pompiers transporter le linceul. Les gamins, eux, avaient vu le corps meurtri. La colère et la tristesse, et la conscience que ça aurait pu arriver à n'importe lequel étaient palpable.
J'avais pas pris de photos jusqu'à ce moment. C'est là que j'ai senti le besoin de prendre en photo ces jeunes (ceux qui voudraient), cette vie tellement fragile. Construire des traces. Dans chaque portrait, celui qui était en face de moi était vivant. 
Je suis rentré à Marseille avec quelque portraits. C'est pas forcément mes meilleurs portraits, mais ils ont importants. Je reviendrais au plus vite.

Photo: 2015






Articles les plus consultés

18

17

5

1

11

12

8

15

6

13